1999 – Brush with the Blues – Jeff Beck

(« Who Else »)

Après une traversée du désert pendant les années 80, Jeff Beck renait de ses cendres tel le phénix en 1989, avec un magnifique album, « Guitar Shop », enregistré Tony Hymas aux claviers et le génial Terry Bozzio à la batterie : « il faut quelqu’un qui puisse déménager. Malheureusement, les vrais batteurs sont décimés par les machines. Mais rien ne peut remplacer un vrai groove de batterie comme ceux de James Brown, parce que les jumains ont une qualité que les machines n’ont pas : la faculté d’anticipation »[1]. La pochette est superbe, l’ensemble des compositions est cohérent, le son de groupe est moderne, et la guitariste fait à nouveau des étincelles. L’énergie est globalement rock (« Big Block », « Savoy »), mais on trouve aussi un spendide reggae chaloupé (« Behind the Veil »). Et puis Jeff Beck propose « Where where You », une merveille des merveilles, « les plus belles notes de guitare glanées sur disque depuis que Jimi Hendrix a tiré sa révérence »[2]. A l’écoute de ce morceau planant, basé sur l’exploitation particulièrement subtile des harmoniques, de la tige de vibrato, et du potard de volume le retour aux affaires de Jeff Beck est une évidence. Mais il faut finalement attendre encore une décennie pour que le guitariste valide cet essai avec l’album « Who Else » (1999) : « ma méthode ne semble pas très productive, mais chacun de mes albums est différent des autres, avec une direction précise qui correspond à ce que je veux faire. (…) Si je prends mon temps, c’est aussi parce que personne ne veut entendre le même son sans cesse. Celui de Beck ou un autre. J’aime sortir un disque uniquement quand je suis sûr que j’ai suffisamment de bons titres »[3]. Pour ce nouvel opus, Tony Hymas est toujours là, et est d’ailleurs le principal compositeur. Jennifer Batten, guitariste remarquée auprès de Michael Jackson collabore aussi au projet. Le rock instrumental de Jeff Beck est désormais teinté de musique électronique (« Mama Said », « Psycho Sam »), dans un esprit assez similaire à ce que propos Prodigy à la même époque. On retiendra en particulier un « Blast from the East » propulsé par un riff de guitare à coloration orientale, le magnifique dub planant « Angel (Footsteps) », et la belle ballade celte « Declan » en conclusion de l’album.

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Mais le sommet de l’album est assurément « Brush with the Blues ». Dans un premier temps, on peut s’interroger sur le choix de placer ce blues enregistré live au milieu d’un album fusionnant rock et techno. Mais très vite, la ligne de basse et les ballets posent une ambiance feutrée qui capte l’attention. Jeff Beck se contente de placer quelques notes et accords, entraînant les réactions du public et suscitant son attente. Après un break, c’est l’exposition du thème. Le son est incroyable. Ce guitariste se caractérise par un jeu au doigts (et non au médiator) qui lui permet après de multiples années de jouer avec un énorme volume sonore, tout en introduisant avec subtilité de multiples variations dans les attaques. La formule en trio et les réactions du public ne font qu’ajouter au plaisir du live. Il y a beaucoup de finesse, notamment dans l’exploitation de la tige de vibrato, qui permet à Jeff Beck de sculpter chaque note. La reprise du thème s’accompagne d’une montée de l’intensité, avec l’apparition de nappes de synthés, et des attaques qui se font un peu plus tranchantes. On entend le guitariste prendre plaisir à interpréter la mélodie avec de multiples variations. Quelle maîtrise du son !

YOU BECKER, YOU BECK… All hail the return of The Guvnor, JEFF BECK himself,  to Birmingham Symphony Hall on May 18. Prepare for a blow by blow account…

Après un break, le solo commence à 2.25 avec le retour de la ligne de basse et Jeff qui rentre progressivement en jouant du potard de volume. La phrase suivante s’engage dans les graves pour terminer par une brève accélération puis un point de fixation à l’aide de la tige de vibrato (2.49). Puis le phrasé s’accélère, terminant sur un harmonique envoyé dans les étoiles (3.03). Jeff est désormais dans le haut du manche et engage deux phrases mélodiques sur un mode question / réponse. A 3.29, il continue à élever l’intensité du solo par une répétition de hammer-on / pull off, jusqu’à la répétition d’un motif dissonant (4.01), puis un autre plan répétitif imbriquant des cordes à vide. Jeff Beck le sauvage est devant nous, triturant les cordes, se jouant de la saturation, surfant sur la section rythmique en fusion. Puis à 4.48, le climat s’apaise soudain, avec un retour vers le thème, qui sera repris une dernière fois, avec de nouvelles subtiles variations (notamment un très beau travail d’harmoniques).

Toutes les Tablatures de Jeff Beck (Jeff Beck tabs)

« Brush with the Blues » est devenu un standard du répertoire de Jeff Beck et un incontournable de ses concerts. Après cet album, Jeff Beck a prolongé ses expérimentations sur l’album « You Had It Coming » (2001) également intéressant, avec un énorme « Earthquake » (l’influence de Prodigy est évidente), un drum and bass oriental (« Nadia ») et un planant « Suspension ». Un troisième album, « Jeff » (2003) complète avec cohérence une trilogie d’exploration des sonorités électroniques par le guitariste, avec notamment le très beau « Seasons » qui alterne entre charybde (rage sauvage) en scylla (douceur mélancolique). Cette capacité d’évolution de Jeff Beck tout au long de sa carrière est absolument incroyable, comme le souligne John Mc Laughin : « Jeff est tout simplement un guitariste-né. Il a non seulement un talent inné, mais il n’a jamais cessé d’évoluer au cours des années. Il s’est forgé un style merveilleux, instantanément reconnaissable. (…) Ma plus grande révélation à la guitare fut Jimi Hendrix. Jimi a modelé le futur de la guitare électrique. Malheureusement, il nous a quittés il y a de nombreuses années. Ma révélation suivante vint en la personne de jeff Beck. (…) Jeff est sans prétention, l’une des personnes des plus drôles que je connaisse, avec un sens de l’humour totalement farfelu, comme tous les grands musiciens ; et comme tous les grands musiciens, il a une vraie imagination »[4].



[1] Stix, J. (1989). Jeff Beck : le retour d’El Becko. Guitarist, 5, p.35.

[2] Goaty, F. (2014). Le Come Back de Beck. Musiz, 3, p.22.

[3] Stix, J. (1989). Jeff Beck : le retour d’El Becko. Guitarist, 5, p.35.

[4] John Mclaughlin, extrait de la préface de l’ouvrage « Beck 01 » (2016).

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