1989 – The Messiah will Come Again – Gary Moore

(« After the War »)

Après une triplette d’albums majeurs dans une orientation hard rock (« Corridors of Power », 1982 ; « Victims of the Future », 1983 ; « We Want Moore », 1984) qui installe Gary Moore dans l’élite des guitaristes, l’irlandais décide de prolonger dans cette voie avec « Run for Cover » (1985). L’album donne l’occasion d’une nouvelle collaboration avec Phil Lynot de Thin Lizzy (« Military Man » et « Out in the Fields »), mais l’on retrouve également l’ex-Deep Purple Glenn Hughes au chant et à la basse sur plusieurs morceaux. La guitare de Gary Moore fait encore et toujours des étincelles, et pleure dans une nouvelle version de « Empty Rooms ». Deux ans plus tard, « Wild Frontier » (1987) propose une fusion originale de hard rock avec la musique irlandaise, et donne surtout l’occasion au guitariste de sonner comme Jeff Beck sur l’instrumental « The Loner ». Il faut dire que cette composition de Max Middleton qui était aux claviers sur le mythique « Blow by Blow » (1975), a été enregistrée initialement par Cozy Powell (« Over the Top », 1979) en dédicace à Jeff Beck. Gary Moore se la réapproprie et démontre une nouvelle fois à quel point il n’est pas uniquement un « shredder », mais aussi un bluesman feeling capable de jouer des ballades avec énormément de feeling et d’émotions. En 1989, il complète la trilogie avec « After the War » (1989). Dès le morceau titre, on retrouve un Gary Moore avec un énorme son de guitare saturé, un riff monstrueux d’énergie, une mélodie accrocheuse mise en valeur par des harmonies vocales, et un bref solo absolument fulgurant. Le reste de l’album est très bon, avec le furieux « Speak For yourself », les orientations irlandaises de « Blood of Emeralds », et l’ironique « Led Clones » chanté par Ozzy Osbourne à propos des groupes qui se contentent de copier « Led Zeppelin ». Au milieu de ce déluge d’électricité se trouve un instrumental merveilleux.

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« The Messiah will Come Again » est une composition de Roy Buchanan qui date de 1972, qui développe sur 6 minutes une atmosphère nostalgique, sur fond de dialogue entre des nappes d’orgue et la telecaster du guitariste. Les paroles évoquent le passage d’un étranger dans une petite ville, qui apporte le bonheur. Mais il est de courte durée, puisqu’il se retrouve rejeté et s’en va, laissant la tristesse envahir à nouveau la petite ville. Laissant à l’auditeur la liberté d’interpréter le texte, Roy Buchanan fait pleure sa guitare à chaudes larmes dans un crescendo émotionnel, en exploitant notamment sa technique favorite, consistant à obtenir un effet de violoning en augmentant progressivement le potard de volume. Jeff Beck lui avait déjà rendu hommage en exploitant cette même technique dans son classique « Cause We’ve Ended as Lovers » (1975). Gary Moore en fait de même en reprenant sa composition la plus célèbre dans une version totalement instrumentale, alors que Roy Buchanan est mort l’année précédente (1988). Elle s’engage de manière similaire, avec une nappe d’orgue et la guitare qui entre progressivement dans le mix. La couleur est « blues », et les interventions élève progressivement l’intensité du morceau, jusqu’à un effet de volume (0.59), comme une dédicace. Puis Gary Moore se fait désirer en faisant monter le son de sa guitare, avant d’exposer la magnifique mélodie, avec l’énergie et le feeling qui le caractérise. L’équilibre sonore est parfait avec la basse de Laurence Cottle, les claviers de Don Airey et la batterie de Cozy Powell. Le guitariste utilise principalement des bends déchirants, avec un volume sonore et une saturation chaude qui lui offre un sustain exceptionnel.

Gary Moore - The Messiah Will Come Again - Guitar Cover - YouTube

Pour commencer son solo à 2.42, il propose un plan ascendant intégrant des cordes à vide pour un plan virtuose qui fait mouche. On l’entend jouer autour de la mélodie, intégrant des motifs pentatoniques, exploitant les sonorités dans les cordes graves (à partir de 3.02), avant de se relever progressivement. A 3.15, il relance la dynamique de son propos avec un nouveau plan rapide intégrant des cordes à vide, dans l’esprit de ce que proposait Ritchie Blackmore au sein de Deep Purple. Après un bend, le guitariste travaille à baisser l’intensité, accompagné par le groupe qui l’accompagne. L’orgue redevient plus présent dans l’espace sonore, alors que Gary Moore diminue le volume et la saturation. C’est comme si après le cri de douleur, il exprimait désormais sa souffrance sur le ton de la confidence, avec des grappes de notes (3.32), puis des notes travaillées vers les aigues. Mais le répit était de courte durée et le voilà qui relance l’intensité de son jeu avec un plan pentatonique (3.48), puis un bend progressivement détendu à partir de 3.52, comme le faisait également Ritchie Blackmore. L’intensité est maintenue par des plans pentatoniques puis un jeu staccato ascendant, avant une nouvelle rupture de climat. A partir de 4.21, Gary Moore utilise la technique de violoning typique de Roy Buchanan, faisant planer son fantôme et pleurer sa guitare. Il fait jaillir un bouquet d’harmoniques, puis s’engage dans un mouvement progressivement ascendant vers un climax obtenu par une série de bend dans les aigues (à partir de 5.06), puis de maintenir l’intensité avec un motif pentatonique répété (à partir de 5.23). Le climat retombe avec une giclée d’orgue, avant que la guitare s’exprime avec son feedback, pour le retour vers le thème.

Thirty Years After the War - Rock and Roll Globe

Mis à part Jeff Beck, qui d’autre dans ce style pour transmettre autant d’émotions ? On pense aussi au Jimmy Page de « Since I’ve Been Loving You ». Mais à l’évidence, Gary Moore propose avec sa reprise de « The Messiah will Come Again » un sommet de la guitare électrique, dans une rencontre parfaite entre le respect de la version originale et l’interprétation à la fois virtuose et pleine de feeling. La parution de « After the War » (1989) marque la fin de la période hard rock de l’irlandais, qui va prendre un tournant majeur vers une orientation blues-rock dès l’année suivant avec « Still Got the Blues » (1990), avec un succès qui sera tant artistique que commercial. Mais il serait dommage de ne pas retourner se plonger dans le début de la discographie de Gary Moore, comme le souligne Patrick Rondat : « je suis un gros fan de Gary Moore. J’ai toujours aimé son jeu et j’ai adoré sa période metal, qu’il a d’ailleurs assez démolie par la suite dans ses interviews. J’ai trouvé qu’il avait vite balayé cette histoire là, alors que moi je le trouvais plus intéressant, avec plus de personnalité, dans ce côté metal irlandais, mélange de Jeff Beck, de metal et de musique irlandaise. C’était vraiment un guitariste fabuleux »[1].


[1] Entretien avec Patrick Rondat sur le site http://www.auxportesdumetal, 23 mai 2011.

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