1989 – The Road To Hell – Chris Rea

(« The Road to Hell »)

Chris Rea (1951) est un chanteur et guitariste anglais, qui s’est lancé dans la musique après une révélation relativement tardive (22 ans) en entendant un solo de guitare de Joe Walsh (« Eagles »). Dans les années 80, il développe un style pop-rock qui se caractérise par la recherche d’une mélodie chantée avec une voix chaude et grave, l’utilisation de sonorités synthétiques (claviers, batterie…) et la présence permanente de la guitare comme élément rythmique. En tant qu’artiste, il semble travaillé par une question existentielle : peut-on perdre son âme dans la recherche du succès ? Il semble privilégier l’idée de se laisser guider uniquement par son amour pour la musique : « C’est parce que je n’avais pas le désir de devenir une rock star. Tous mes amis, eux, n’avaient que cette idée en tête : entrer dans un groupe, réussir, faire la fête, gagner beaucoup d’argent, voyager. Moi, ça ne m’intéresserait pas de devenir célèbre. Ce n’est que lorsque la musique s’est imposée à moi que j’ai commencé à y penser sérieusement. Et c’est la raison pour laquelle je ne l’ai pas fait avant ». Et pourtant, Chris Rea ne peut se couper totalement de la recherche d’enjeux commerciaux, et certains de ses détracteurs lui reprochent justement un style trop formaté pour les radios. Pendant les années 80, on ne lui reconnaît pas l’intégrité d’un Bruce Springsteen, l’authenticité d’un Tony Joe White, ou la virtuosité d’un Mark Knopler. En 1985, il propose le superbe « Josephine », composition écrite pour sa fille, qu’il souhaitait influencée par le blues, mais aussi par les Yellowjackets ou Weather Report. Le succès arrive progressivement, mais en termes d’image, quelque chose ne lui permet pas d’accéder à une véritable reconnaissance artistique.

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Pourtant en 1986, il publie une composition absolument magique : « On the Beach ». Elle est inspirée par les iles ensoleillées des Baléares, les souvenirs de moments vécus avec celle qui va devenir sa compagne, la magie de la rencontre amoureuse sur la plage ensoleillée. L’ambiance jazzy, planante et méditative repose notamment sur la participation de Max Middleton au Fender Rhodes Electric Piano, connu pour son implication à deux chefs d’œuvre de Jeff Beck (« Blow by Blow » 1975 ; « Wired », 1976). Au-delà des similitudes avec les sonorités du « rock californien », la magie du morceau est aussi associée à l’émotion qui s’en dégage, celle d’une douce mélancolie liée aux souvenirs heureux qui s’éloignent. Mais le sommet arrive en 1989 avec « The Road to Hell ». L’artiste à 38 ans, et propose un album noir et sombre, ancré dans le rock et le blues. La guitare est davantage mise en avant, tant dans l’accompagnement rythmique que dans les interventions lead, même si elle s’imbrique toujours avec des nappes de claviers.

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« The Road to Hell » est aussi le morceau titre, taillé pour la route comme son titre l’indique. Ce qui est désormais devenu un standard pop-rock témoigne d’une certaine proximité avec l’univers de Dire Straits. Chris Rea utilise d’ailleurs une Fender Stratocaster, à l’instar de Mark Knopfler. Soulignons que la composition est structurée en deux parties de 5 minutes chacunes. Dans la première, le chanteur évoque la rencontre imaginaire avec sa mère décédée, qui s’inquiète de la voie sur laquelle s’engage son fils, c’est-à-dire celle du succès et de l’argent facile, mais aussi celle d’un système corrompu qui ne fait pas de cadeau. C’est cette idée que développe la seconde partie : recherche du bonheur et de la fortune, risque de sacrifier ses valeurs morales dans la quête du succès, émergence de sentiments d’inquiétude et de tristesse. C’est la problématique classique du mythe de Faust, c’est la route vers l’enfer.

CHRIS REA - And You My Love. Pop Soft. (Rubrique) - DÉCOUVERTES MUSICALES,  ARTS, HISTOIRE

L’ambiance de la composition repose sur l’association entre une section rythmique très rock (basse-batterie-guitare) et une nappe de synthés planante, sombre et mélancolique. On note que le magicien des claviers Max Middleton fait encore partie de l’aventure. Chris Rea propose de magnifiques interventions à la guitare, dans un style de questions / réponses classique du blues. Il prend un premier solo à 1.41, avec un son saturé et l’utilisation d’un jeu en slide au bottleneck. Le guitariste exploite principalement la gamme pentatonique, mais avec une interprétation gorgée d’un feeling blues. Les phrases sont particulièrement mélodiques, et l’ensemble traduit un double sentiment d’urgence et de mélancolie. Le deuxième solo commence à 3.01, avec l’exploitation de plusieurs bends, un travail pour varier les attaques (3.08), des guitares harmonisées (3.22). Chris Rea relance le solo en se déplaçant dans les sonorités graves (3.28), en jouant de la répétition d’un motif pour marquer la transition entre des accords (3.41). La section rythmique tourne à plein régime, semble se répéter de manière immuable, amplifiant l’impression quasi hypnotique qui associée à celle de la conduite automobile lancée de manière dramatique en direction de l’enfer. L’effet est renforcé par la superposition de différentes parties de guitare qui s’entrecroisent pour relancer en permanence la dynamique du solo (par ex. le retour de la guitare slide à 3.58). A l’évidence, le sommet de Chris Rea en tant que guitariste !

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Le sentiment du temps qui passe apparaît comme un fil rouge pour Chris Rea. On le retrouvere notamment dans une autre composition magnifique, « Looking for this Summer » (1991). Dans une interview en 1991, Chris Rea a décrit le sens des paroles de cette chanson : « l’idée est fondamentalement qu’un gars regarde sa fille, qui est maintenant à peu près à l’adolescence, et il la voit se détourner. Elle regarde son été, elle est au printemps à la recherche de l’été. Lui est en automne, regarde en arrière et se souvient de ce que c’était quand il a également cherché son été. Le troisième couplet rappelle à sa femme comment ils se sont blessés alors qu’ils cherchaient leurs étés. A bien des égards, il cherche toujours son été »[1]. L’ambiance est absolument sublime, association d’arpèges de guitare acoustique, d’un Fender Rhodes et d’un orgue Hammond, sur une section rythmique feutrée. Chis Rea délaisse les sonorités artificielles de ses productions initiales, pour privilégier la sincérité et se rapprocher de l’émotion du blues. « Looking for this Summer » (1991) donne à entendre le dialogue entre la magnifique voix de Chris Rea et ses interventions subtiles à la guitare. Il faut souligner la présence en fil rouge sur « Josephine », « On the Beach », « The Road to Hell » et « Lookinf for this Summer » du magicien des claviers, Max Middleton. Il y a une évidence à ne jamais oublier : quand la guitare brille, c’est aussi grâce au talent des autres musiciens.


[1] Dennis Elsas (1991). L’interview de Chris Rea. chrisrea.biz. Récupéré le 03/06/2019.

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