1988 – One – Kirk Hammett (Metallica)

(«…And Justice for All »)

Après le chef d’oeuvre « Master of Puppets » (1986), Metallica doit faire face à un drame avec la mort de Cliff Burton. Le groupe intègrera alors Jason Nestweed pour le remplacer, et sortira un quatrième album, « … And Justice for All » (1988). « One » est le morceau référence du groupe. Elle va fusionner les deux versants du groupe en basculant progressivement de la ballade (dans le prolongement de « Fade to Black » et « Welcome Home (Sanitarium) ») au metal le plus dur (dans le prolongement de « Master of Puppets »). La composition commence avec les bruits de la guerre (tirs de mitrailleuses, décollage d’hélicoptère…), puis s’ouvre sur l’exposition de magnifiques arpèges en son clair par James Hetfield. La guitare de Kirk Hammett apparaît pour une première intervention, extrêmement mélodique et également en son clair. On note une belle utilisation du sweeping pour accompagner l’arrivée de la batterie et dynamiser le propos. Puis le morceau se lance véritablement en intensité, avec une exposition plus affirmée des arpèges, vraiment magnifiques, avec ses couleurs espagnoles renforcées par des sonorités acoustiques (à partir de 1.32. La voix de James Hetfield engage le premier couplet, décrivant le point de vue d’un blessé de guerre (amputé de ses bras et jambes, aveugle, muet et sourd) dont la vie n’est maintenue qu’artificiellement et dont le seul souhait est de mourir : « I can’t remember anything, Can’t tell if this is true or dream, Deep down inside I feel to scream, This terrible silence stops me »). La chanson est en fait une référence explicite au roman « Johnny s’en va-t-en guerre » de Dalton Trumbo, adapté au cinéma et porté comme film-culte et symbole de la lutte pacifiste aux Etats-Unis lors de la guerre du Vietnam. La composition alterne entre les couplets en son clair et les refrains saturés (« Hold my breath as I wish for death, Oh please, God, wake me »).

Kirk Hammett prend une deuxième intervention à 3.09, toujours dans un esprit très mélodique en son clair, avec une très belle conclusion reposant sur un arpège tournant de manière répétitive (3.33). Sur le refrain suivant, la batterie devient plus lourde avec l’usage de la double grosse caisse, puis un pont propose des guitares harmonisées, menant à un énorme riff batterie / guitare imitant le son des mitrailleuses (4.38). La voix de Kirk Hammett hurle : « Darkness imprisoning me, All that I see, Absolute horror, I cannot live, I cannot die, Trapped in myself, Body my holding cell ». La puissance rythmique du groupe est impressionnante, et l’on imagine les émotions ressenties par ce soldat emprisonné dans ce corps pulvérisé par l’explosion d’une mine : « Landmine has taken my sight, Taken my speech, Taken my hearing, Taken my arms, Taken my legs, Taken my soul, Left me with life in hell ». La guitare de James Hetfield et la batterie de Lars Ulrich propulsent la composition dans le domaine du trash, avec une énergie décuplée et une précision chirurgicale, amenant au climax du morceau.

Metallica memories: Heat, rain, thrash and fake disasters | Pittsburgh  Post-Gazette

Le solo de Kirk Hammett d’engage à 5.47, en exploitant la technique du tapping. Si ce plan est devenu célébrissime, c’est certainement par l’association incroyable entre la vitesse d’exécution et sa dimension mélodique, le tout se développant sur une rythmique en fusion. C’est comme une libération de toutes les tensions accumulées par ce soldat, tensions qui ont été mise en scène progressivement depuis le début de la composition, jusqu’à ce break de batterie fulgurant de Lars Ulrich. Le fameux plan en tapping, technique popularisée dans le hard Rock par Eddie Van Halen et consistant à jouer des deux mains simultanément sur le manche de la guitare, suit ici un mouvement descendant pendant une dizaine de secondes. Puis Kirk Hammett rebondit sur un break de batterie (5.55), avant de viser un bend sur le premier temps suivant, associé au retour de la rythmique de James Hetfield. Le guitariste enchaîne ensuite avec plusieurs plans pentatoniques qui s’enchaînent progressivement, chacun d’entre eux étant maintenu en boucle pendant quelques secondes. Une descente de gamme s’engage à 6.08 pour prolonger le propos, avant un plan en bend qui n’est pas sans rappeler le style de Ritchie Blackmore de Deep Purple (6.12). Le solo se termine par deux breaks syncopés associant des riffs pentatoniques particulièrement sauvages à la guitare et les frappes de Lars Ulrich à la batterie (6.16), avant la conclusion finale sur une répétition de bends dans les aigues. Après le retour de la rythmique si caractéristique de Metallica, une dernière partie de guitare s’engage, davantage orienté vers un travail d’harmonisation entre Lars Ulrich et Kirk Hammett. 

Bleeding Me — James Hetfield and Kirk Hammett 1988

« One » constitue une forme de synthèse de l’identité de Metallica à la sortie de leur quatrième album. Le groupe évoluera ensuite vers un Heavy Metal à succès avec le magistral « Metallica » (1991) qui contient de nombreux solos de Kirk Hammet dans des formats plus courts, mais tout aussi sauvages. On pense évidemment au mythique « Enter Sandman », l’un des meilleurs titres du groupe, propulsé par un riff d’anthologie, et dans lequel le guitariste place un solo particulièrement efficace en usant de la pédale wha-wha. Mais l’album est d’une grande cohérence, avec le sombre « Sad But True », l’agressif « Holier Than Thou », ou l’oriental « Wherever I May Roam ». C’est une véritable collection de riffs de guitare imparables pour Lars Ulrich et Kirk Hammett. La production de Bob Rock offre un son puissant et un équilibre parfait avec la batterie de Lars Ulrich. L’album est une réussite commerciale certes, avec les incontournables ballades « The Unforgiven » et « Nothing Else Matters », mais Metallica conserve un ancrage fort dans le Heavy Metal, notamment avec des titres comme « Of Wolf and Man » inspiré par le roman « Des souris et des hommes » de John Steinbeck.

Metallica! | Jason newsted, Metallica, Jason newsted metallica

En 1996, Metallica proposera l’album « Load » qui contient encore quelques pépites (« Ain’t My Bitch » et « King Nothing » notamment), et un magnifique solo à la wha-wha dans « Bleeding Me » : « la première fois que j’ai entendu une pédale wha-wha, c’était en écoutant Brian Robertson avec Thin lizzy. Je connaissais déjà ce son grâce à jimi Hendrix, mais je pensais que c’était une espèce de sorcellerie de guitariste »[1]. D’autres titres bien que réussis (« Until it Sleeps », « Mama Said ») soulignent une orientation davantage pop-rock qui déroute les fans de la première heure. Pour Metalica, la suite de l’aventure sera effectivemment plus difficile, avec des tensions de plus en plus fortes au sein du groupe, comme le souligne de manière magistrale le documentaire « Some Kind of Monster » (2004).


[1] Entretien avec Kirk Hammet. Guitaristes de légende. Les légendes de la musique, 2, p.49.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer