1989 – Riviera Paradise – Stevie Ray Vaughan

(« In Step »)

En 1985, Stevie Ray Vaughan propose un troisième album, « Soul to Soul », en faisant évoluer la formule trio de son groupe Double Trouble avec l’intégration de Reese Wynans au clavier. Mais le cœur de son identité musicale reste identique : « musique blues et rock. Rock ‘n’roll, rock, blues, mais tous influencés par le blues, certains par les gars du blues d’origine, certains par le blues anglais. Une partie a été influencée par Hendrix »[1]. Avec cette nouvelle production, Stevie Ray Vaughan propose quelques pépites, notamment l’instrumental « Say What ! » basé sur l’exploitation de la pédale wha-wha, la reprise du « Come On (Part III) » qui est autant une référence à Earl King qu’à Jimi Hendrix, et la merveilleuse ballade « Life Without You ». Deux ans plus tard, la parution de « Live Alive » (1987) permet d’entendre une reprise de « Superstition » de Stevie Wonder. Mais Stevie Ray Vaughan est entré dans une période difficile, puisqu’il est aux prises avec la drogue et l’alcool, ce qui l’oblige à une cure de désintoxication avant d’envisager un nouvel album : « vous savez, ce disque sera le premier que j’ai jamais fait sobre, complètement sobre, donc les choses sont très différentes maintenant. (…) Je suis alcoolique. Je ne le savais pas depuis longtemps. J’avais des soupçons depuis quelques années mais je ne savais pas que c’était vraiment ça » [2]. « In Step » (1989) est l’album de son retour. Il est dédié à la mémoire de John Hammond, célèbre producteur de musique qui a grandement participé à lancer sa carrière. L’inaugural « The House is Rockin’ » semble témoigner d’une énergie retrouvée, et « Tightrope » est une belle composition rock/funk contenant un solo enflammé du guitariste. Néanmoins, on retiendra surtout le dernier morceau, « Riviera Paradise », qui est depuis devenu un véritable classique.

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Il s’agit d’une magnifique ballade, qui prolonge dans l’esprit une autre composition remarquable de Stevie Ray Vaughan : « Lenny ». On y retrouve le même climat aérien et onirique, dès la merveilleuse introduction engagée avec une descente chromatique d’accords, prolongée par l’exposition de quelques harmoniques et d’un accord faisant la part belle aux cordes à vide. Un rapide passage à coloration jazzy débouche sur accord qui est l’occasion d’une descente progressive qui prépare l’arrivée de la séquence qui va structurer la composition en se répétant en permanence en arrière-plan du thème et des improvisations. Le thème, reposant sur un enchaînement d’arpèges qui viennent s’insérer dans une descente d’accords, est exposé à la Fender Stratocaster avec un magnifique son clair : « ma première femme est une Stratocaster ’59. C’est en fait un corps ’63, un manche ’62 et des micros ’59, bien que maintenant j’ai un manche différent dessus, parce que j’avais porté l’autre à un point où chaque fois que je le réfrettais, je devais remplir les trous » [3]. Stevie Ray Vaughan exploite l’espace sonore laissé disponible par la section rythmique qui se contente de poser délicatement les bases harmoniques et rythmiques du morceau. Si l’ensemble semble teinté d’une certaine mélancolie, liberté est laissée à l’auditeur d’imaginer à quoi ressemble cette fameuse « Riviera Paradise ».

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Le solo s’engage à 1.18, avec le soutien de Reese Wynans qui propose une nappe de clavier, comme pour nous immerger encore plus profond dans le climat. SRV joue pentatonique, en exploitant des bends variés. L’approche de la fin de la suite d’accords s’accompagne d’un travail tout en finesse avec des notes cristalines (2.02), qui permet d’amplifier l’attente du retour en début de boucle (comme dans la reprise de « Little Wing » d’ailleurs). Puis le guitariste replonge comme en apnée dans la « Rivière Paradis », toujours en brodant avec la gamme pentatonique, faisant parfois appel à la « blue note », exploitant la tige de vibrato (3.38). Après un solo de clavier, Stevie Ray Vaughan prend une seconde intervention à la guitare (5.27), en proposant un jeu en octave typique du jazz, et notamment de Kenny Burrel dont il a repris le « Chitlin Con Carne ». Vers la fin du solo, il développe des phrasés rapides en sweeping (7.10), en utilisant la tranche du médiator pour joue plusieurs notes sur des cordes différentes.

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Avec l’album « In Step » (1989), Stevie Ray Vaughan semble repartir de l’avant : « à certains égards, je suis resté un peu dans un endroit stagnant pendant un certain temps pour quelque raison que ce soit. (…) J’ai reconstitué ma vie, mais c’est tout, un processus de croissance, et c’est bien aussi, parce que si vous arrêtez de grandir, à quoi cela sert-il musicalement ? C’est donc ce que j’attends avec impatience : grandir ». Malheureusement, « Riviera Paradise » est le dernier morceau publié par Stevie Ray Vaughan de son vivant. Une interprétation possible est qu’il évoque justement la rivière qui nous amène petit à petit vers la mort (et peut-être le Paradis), comme à la fin du film « Dead man » de Jim Jarmusch, avec un Johnny Depp qui s’éloigne du rivage dans une embarcation, vers un au-delà cotonneux… Après un concert avec Eric Clapton, Stevie Ray Vaughan meurt en 1990 dans un accident d’hélicoptère causé par le brouillard… Il est depuis rentré au panthéon des guitaristes, et reste encore aujourd’hui une référence incontournable, y compris au-delà du cercle des amateurs de blues, comme l’exprime par exemple Kirk Hammett, le lead guitariste du groupe de métal « Metallica » : « Il est tout à fait vrai que Stevie Ray Vaughan est l’un de mes guitaristes préférés de tous les temps. (…) Peu de temps après sa mort, je me suis procuré une vidéo de lui en train de jouer un spectacle en direct et j’ai été totalement époustouflé par son timing, son ton, sa sensation, son vibrato, son phrasé, tout. Certaines personnes naissent pour jouer de la guitare, et Stevie en faisait définitivement partie »[4].


[1] Entretien avec Stevie Ray Vaughan. Guitarist, 1988.

[2] Entretien avec Stevie Ray Vaughan. Guitarist, 1988.

[3] Entretien avec Stevie Ray Vaughan. Guitarist, 1988.

[4] Hammet, K. (2019). Metallica’s Kirk Hammett : how to play like Stevie Ray Vaughan. Guitar World, October, 03.

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